Naissance du projet
Le projet ANR DEMOCRITE est né de travaux préliminaires menés par la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP) avec l’aide de stagiaires de l’Ecole Polytechnique. L’idée était alors de conceptualiser un Moteur d’Analyse et de Couverture des Risques (MACR) dans une optique d’anticipation des besoins opérationnels.
Le pré-projet MACR, soutenu par le Commandant Stéphane Raclot (à présent Colonel), a ensuite été transmis à LABEO, laboratoire commun entre la Préfecture de Police de Paris et le CEA/DAM (Commissariat à l’Energie Atomique – Direction des Applications Militaires). Régis Guyonnet (LABEO et CEA) et Guillaume Schlumberger (à ce moment Directeur de la prospective et de la stratégie au CEA/DAM) ont proposé de rechercher un financement ANR (Agence Nationale de la Recherche) pour évaluer la faisabilité d’une plateforme logicielle intégrant RETEX opérationnel, modèles rapides, et cartographies à la volée.
La première étape a été le choix d’un centre CEA/DAM à même de construire et de porter le projet de recherche. Le Directeur du centre CEA de Gramat de l’époque, Didier Besnard, séduit par le projet et soucieux d’ouvrir le centre de Gramat vers l’extérieur, a diffusé la demande et le dossier a fini par atterrir… sur mon bureau. Je l’ai récupéré avec enthousiasme, étant plus ou moins spécialisé dans les moutons à 5 pattes !
J’avais quelques partenaires possibles en tête, et des réponses à apporter aux besoins exprimés par la BSPP. L’idée du développement spatio-temporel d’évènements sur un carroyage (« tuiles » opérationnelles) m’avait immédiatement fait penser aux approches par automates cellulaires ou réseaux « petit monde » (une approche qui sera effectivement développée dans le modèle incendie « macro » de DEMOCRITE).
J’ai défendu ces premières idées devant le CEA/DAM et LABEO, et j’ai été officiellement « adoubé » pour porter le projet. La deuxième étape consistait à présenter ces idées à la BSPP. Comme elles étaient très proches de ce qu’imaginait Stéphane Raclot, le courant est immédiatement passé entre nous, de même qu’avec le Lieutenant (à présent Capitaine) Floriane Brill, la très dynamique responsable de l’équipe SIG (Système d’Information Géographique)…
À ce stade, il n’y avait donc « plus qu’à » monter le projet.
De MACR à DEMOCRITE
Monter un projet ANR « from scratch » est une vraie course contre la montre… Il fallait définir les grandes lignes du projet, trouver les partenaires pertinents, recueillir les propositions techniques et les chiffrages de chacun, arbitrer et modifier… puis itérer jusqu’à obtenir un projet cohérent et financièrement viable. L’appel à projet CSOSG (Concepts, Systèmes et Outils pour la Sécurité Globale) a été publié fin janvier 2013, pour une date limite de remise des offres fixée à début avril.
L’objectif du projet était clair : développer une plateforme logicielle d’analyse des risques compatible avec les données SIG de la BSPP (intégrées dans le socle SIG commun police / pompier), et prenant en compte :
- le retour d’expérience des pompiers (de l’ordre de 500 000 interventions par an, géocodées au tronçon de voie et codifiés selon le CRI : Code Retour d’Intervention), qui donnent une idée de la probabilité d’occurrence des risques courants (a posteriori),
- des cartographies d’enjeux, vulnérabilités intrinsèques du territoire, afin d’avoir la deuxième dimension du risque,
- des modèles rapides (c’est-à-dire compatibles avec une utilisation opérationnelle) pour certains risques complexes.
Pour les modèles rapides, le risque explosion en milieu urbain (attentat ou accident) était dans la droite ligne des compétences du CEA/DAM (et des miennes !), et intéressait de plus le SGDSN (Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale) et la DGA (Direction Générale de l’Armement), depuis peu partenaires de l’ANR pour le co-financement des projets CSOSG.
Il fallait trouver un autre risque majeur à traiter. Nous avons rejeté l’idée de modéliser le risque inondation, extrêmement complexe à traiter sur Paris et l’Île de France… Le risque incendie (non maîtrisé, c’est-à-dire sans intervention des secours) semblait par contre accessible à la modélisation rapide et correspondait à une activité emblématique des sapeurs-pompiers. Pour caler un modèle rapide de propagation d’incendie entre bâtiments (feu d’îlot), il fallait trouver un partenaire capable de modéliser finement ces phénomènes afin de déterminer des lois simplifiées : le laboratoire P’ en association avec l’IRIAF (Institut des Risques industriels, Assurantiels et Financiers) a accepté de relever le défi de la modélisation numérique des feux bâtimentaires.
Les cartographies de retour d’expérience devaient permettre d’illustrer l’activité opérationnelle moyenne sur une période temporelle donnée, en raffinant l’analyse par type d’intervention (les fameux codes CRI). La représentation choisie par la BSPP a été la projection des données sur un carroyage opérationnel 200 m x 200 m, qui correspond également à la granularité la plus fine des données INSEE.
Concernant les cartographies d’enjeux, la vulnérabilité humaine était bien sûr la priorité. J’avais travaillé avec l’Ecole des Mines d’Alès (à présent IMT Alès) sur ce thème quelques années auparavant, et il semblait possible d’aller plus loin que la distinction entre vulnérabilités jour / nuit utilisée alors. Nous avions travaillé également sur la vulnérabilité psychologique et médiatique, mais ces domaines se prêtent peu à une granulométrie fine, infra-urbaine. Dans la lignée de nombreux travaux sur les services urbains essentiels, nous avons donc décidé d’étudier la vulnérabilité fonctionnelle ou sociale du territoire, au sens où la société repose sur la réalisation de fonctions essentielles (éducation, santé, transport, énergie, etc…) pouvant être perturbées par un aléa. Nous avons logiquement choisi le même carroyage 200 m x 200 m que celui utilisé pour le RETEX.
Pour intégrer ces cartographies à la volée, nous avons fait appel à la société SYSTEL, leader des systèmes d’alertes à destination des services d’incendies et de secours. SYSTEL avait développé au préalable un outil, le Risk Modeling Tool (RMT), capable d’accueillir des outils de génération de cartes.
Nous avons également intégré une équipe mixte INRIA / Ecole Polytechnique (CMAP) afin de faire le lien avec les travaux de l’outil MACR et de donner un avis indépendant et des conseils sur les approches scientifiques choisies par les partenaires durant le projet.
L’aspect Sciences Humaines et Sociales du projet a été tout naturellement confié au CERDACC (Centre Européen de Recherche sur le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes), déjà bien connu de la BSPP. Les thématiques retenues étaient directement liées aux interrogations de la BSPP : d’une part la notion de « bassin de risques », qui peut transcender les limites administratives habituelles (qui correspondent également aux différents niveaux de gestion d’une crise) ; et d’autre part la notion du « droit du secouru », point important lié à la judiciarisation grandissante de la société qui conduit certaines personnes à intenter des procès aux services de secours…
Last but not least, il fallait trouver une entreprise capable d’intégrer l’ensemble de ces outils, modèles et cartographies… avec les contraintes d’un projet ANR (le taux maximum d’aide pour les PMEs était à l’époque de 45%, ce qui peut rebuter certaines entreprises) Mon épouse, Christine Lapébie, avait eu de très bonnes relations avec la société IPSIS (à présent IT Link) lors de projets précédents (à son poste au CEA/Gramat et auparavant, à DGA/Techniques Terrestre). IPSIS, habituée à travailler dans le domaine de la Sécurité Globale pour des projets intégrant de la cartographie et de la modélisation), a accepté d’être l’intégrateur du projet DEMOCRITE.
Le consortium était prêt, et le projet a pu être déposé dans les temps (je vous passe les détails, cela n’a pas été aussi facile que ça et le document scientifique du projet a été amendé jusqu’aux derniers jours avant la deadline…).
Validation du projet
Nous étions pour tout dire assez confiants dans la capacité du projet DEMOCRITE a être retenu par l’ANR : le sujet était pertinent au vu des priorités de l’appel à projet, les partenaires complémentaires et reconnus, le projet en lui-même était innovant, intégrait des opérationnels, apportait une réelle plus-value par rapport à l’existant, et il avait été labellisé par le pôle Risques (à présent SAFE cluster).
C’était compter sans les aléas des budgets… La précédente édition CSOSG 2012 avait financé 12 projets pour une aide totale de 9,04 M€. Pour l’édition 2013, DEMOCRITE est arrivé 7ième sur 22 projets soumis… pour seulement 6 projets sélectionnés sur la liste principale, le budget ayant diminué à 5,9 M€ ! Heureusement DEMOCRITE, premier projet de la liste complémentaire, a pu être retenu après négociation financière et grâce à l’appui de la DGA (Monika Meyrieux) et du SGDSN (François Murgadella).
Les principales caractéristiques du projet dans sa version validée :
- 8 partenaires,
- T0 fixé pour le démarrage : le 1er mars 2014.
- 48 mois de durée initiale, prolongé de 7 mois,
- 995 k€ d’aide ANR+SGDSN+DGA,
- un budget total de 3,5 M€ environ,
- 249 personnes.mois de personnels permanents,
- 61 personnes.mois de non-permanents (CDD, thésards, post-doctorants),
Mais au fait, pourquoi DEMOCRITE ? Tout d’abord parce que c’est l’acronyme de « DÉmonstrateur d’un MOteur de COuverture des RIsques sur un TErritoire » (titre assez prémonitoire, le projet initial se focalisant plutôt sur l’analyse des risques, et pas la couverture, mais je ne vais pas spoiler le reste des articles…). Et parce que Démocrite était un philosophe Grec, un des premiers « atomistes », considéré comme « le plus scientifique des philosophes Grecs » (Wikipédia !) et connu pour disposer d’un savoir encyclopédique sur des sujets extrêmement divers, ce qui représentait bien le caractère intégratif de la plateforme DEMOCRITE et l’ouverture possible à d’autres domaines !
La suite dans un prochain article !